L’Affaire du siècle est le nom donné au recours en responsabilité contre l’État initié en décembre 2018 par quatre ONG – la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace, Oxfam et Notre affaire à tous– visant les carences fautives de l’État français dans la lutte contre le changement climatique .
Ce « recours climat » a eu un retentissement sans précédent marqué par une pétition en ligne ayant recueilli plus de 2 millions de signatures en quelques semaines ce qui a permis aux ONG requérantes de replacer le changement climatique au cœur de l’actualité. Sur le fond, elle donnera immanquablement lieu à d’intenses débats juridiques tant les problématiques qu’elle soulève sont larges et inédites.
1. Une affaire inédite
1. – Au-delà de son nom, préfigurant l’ampleur médiatique et politique qu’elle allait prendre, l’Affaire du siècle est inédite voire exceptionnelle à plusieurs égards.
2. – Elle l’est tout d’abord par l’identité des requérantes qui sont des organisations non gouvernementales (ONG) nationales de premier plan dont certaines, comme la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme et Oxfam, ont recours à l’action juridique contentieuse pour la première fois. Si ce mode d’action s’inscrit dans une tendance d’appropriation croissante par les ONG de l’instrument juridique, il traduit également l’importance des enjeux –le changement climatique représentant la plus grande menace pour l’humanité– et l’urgence à inverser rapidement et drastiquement la trajectoire actuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre pour contenir l’ampleur du réchauffement planétaire, comme l’ont rappelé les experts du GIEC1 dans leur dernier rapport d’octobre 20182.
3. – L’Affaire du siècle est ensuite exceptionnelle de par la mobilisation citoyenne et le retentissement médiatique qui l’entoure. Il est en effet tout à fait inédit qu’une action juridique, avant même qu’elle ne soit formellement initiée, reçoive un tel écho auprès de la société civile et des médias. C’est que les ONG requérantes ont souhaité dès l’origine associer massivement les citoyens et les autres organisations à leur démarche. L’initiation du recours s’est ainsi accompagnée d’une conférence de presse, du lancement d’un site internet dédié3 , de la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo4 faisant intervenir des « influenceurs » et autres célébrités et d’une pétition en ligne pour soutenir le recours. Ce modus operandi s’est révélé particulièrement efficace, puisque la pétition a recueilli un soutien sans précédent avec plus d’un million de signatures en deux jours et plus de 2 millions en quelques semaines. Ainsi, avant même de constituer une véritable action juridique, l’Affaire du siècle s’est transformée en un support de mobilisation et levier politique puissant. Le ministre de la Transition écologique a d’ailleurs été amené à se positionner publiquement vis-à-vis du recours et a jugé nécessaire de rendre public sa réponse à la demande préalable en l’accompagnant d’un courrier à l’attention des signataires de la pétition.
2. La procédure
5. – L’Affaire du siècle a débuté par l’envoi, le 18 décembre 2018, par les ONG requérantes d’une demande préalable indemnitaire7 à une dizaine de ministres à laquelle le ministre de la Transition écologique et solidaire a répondu le 15 février 2019 en rejetant toute responsabilité de l’État8. À la suite de cette réponse, les ONG requérantes ont formellement déposé une requête sommaire en mars 2019 qui sera suivie d’un mémoire complémentaire en mai 2019.
3. Les fondements juridiques
7. – Après avoir rappelé les impacts délétères et déjà visibles en France du changement climatique sur l’environnement, la santé et la vie humaine, la requête invoque l’existence d’une obligation positive à la charge de l’État de lutter efficacement contre celui-ci. Cette obligation est tirée de la Charte de l’environnement (notamment son article premier consacrant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé) et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (notamment ses articles 2 et 8 consacrant le droit à la vie et au respect de la vie privée et familiale qui ont été interprétés comme supposant la protection de l’environnement). La requête invoque également plusieurs obligations spécifiques pesant sur l’État au titre du droit français et du droit de l’Union européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.
4. Les suites et les objectifs du recours
10. – La procédure devant le juge administratif de Paris est susceptible de durer plusieurs années et, s’agissant de problématiques vastes et pour certaines inédites, soulèvera certainement d’intéressants débats juridiques sur le contenu des obligations pesant sur l’État en matière de lutte contre le changement climatique, la nature des manquements, l’admission du préjudice écologique par le juge administratif, la démonstration du lien de causalité…
Note 1 Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
Note 2 « Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d'évolution des émissions de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique , du développement durable et de la lutte contre la pauvreté », GIEC, 8 oct. 2018 ; disponible sur : https ://www.ipcc.ch/sr15/ (en anglais). « Résumé à l'attention des décideurs politiques ». Disponible sur : https ://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/07/SR15_SPM_High_Res.pdf (en anglais).
Note 3 https ://laffairedusiecle.net
Note 4 La vidéo est par exemple disponible sur le lien suivant : https ://www.dailymotion.com/video/x6zg7k4
Note 5 Cour district de La Haye, 24 juin 2015, Urgenda v. Government of the Netherlands. – V. M. Torre-Schaub, La justice climatique , À propos du jugement de la Cour de district de La Haye du 24 juin 2015 : RID comp. 2016, p. 2-25.
Note 6 Court of Appeal The Hague, 9 oct. 2018, Case number : 200.178.245 / 01.
Note 7 Les ONG requérantes ont rendu public la demande préalable sur le site internet de l'Affaire du siècle : https ://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-préalable.pdf
Note 8 L'exposé des raisons sous-tendant la décision de rejet du Gouvernement a été rendu public par le ministre et est disponible sur le lien suivant : https ://ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Action_Climat_État.pdf
Note 9 CE, 3 mars 2004, n° 241151, Min. Emploi et Solidarité c/ Botella : JurisData n° 2004-066497 ; Lebon, p. 125.
Note 10 CE, ass., 9 avr. 1993, n° 138653, D. : Lebon, p. 110. – CE, ass., 9 avr. 1993, n° 138652, G.
Note 11 CAA Nantes, 1er déc. 2009, n° 07NT03775, Min. État, min. Écologie, Énergie, Développement durable et Mer c/ Assoc. « Halte aux marées vertes » et a. : JurisData n° 2009-018564.
Note 12 En ce sens notamment : CE, sect., 18 mai 1979, n° 00413, Assoc. judaïque Saint-Seurin : Lebon, p. 218. – CE, 19 févr. 1982, n° 09899, Comité de défense du quartier Saint-Paul : Lebon T., p. 746. – CAA Nantes, 1er déc. 2009, n° 07NT03775, Min. État, min. Écologie, Énergie, Développement durable et Mer c/ Assoc. « Halte aux marées vertes » et a., préc.
Cet article est issu de l’intervention de Clémentine Baldon lors de la conférence-débat « Les procès climatiques en France », qui a eu lieu le 14 février 2019 à l’Université Paris I.
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