Adopter des “mesures miroirs” : C’est un des trop rares sujets où agriculteurs et associations de défense de l’environnement se rejoignent. C’est ce que montre le nouveau rapport rédigé non seulement par l’Institut Veblen et la Fondation pour la Nature et l’Homme, mais aussi par INTERBEV (organisation professionnelle d’éleveurs) qui milite pour l’adoption urgente de telles mesures.
De quoi s’agit-il ?
Conditionner l’accès des produits agricoles importés dans l’UE au respect de certaines exigences de production essentielles qui s’appliquent déjà aux produits européens, notamment en matière sanitaire, environnementale ou de bien-être animal.
Est-ce possible en droit du commerce international ? Oui, sous conditions.
Si le droit de l’OMC érige le commerce international comme valeur cardinale même quand il entraîne des distorsions de concurrence, l’examen des règles et de la jurisprudence montre qu’il peut permettre des mesures miroirs, à condition qu’elles ne soient pas considérées comme protectionnistes. C’est un sujet technique et compliqué, mais voici quelques éléments de synthèse :
- Le texte du GATT interdit les mesures discriminatoires, ce que les mesures miroirs ne sont pas forcément, en particulier si des produits respectant des normes de production exigeantes ne sont pas considérés comme similaires aux produits moins exigeants, en raison notamment de la perception des consommateurs : par exemple, des œufs issus de poules élevées en plein air pourraient être considérés comme différents des œufs issus de poules encagées. Et même si une discrimination était qualifiée, la mesure peut être permise au titre de l’article 20 du GATT qui liste des exceptions en matière de “moralité publique”, santé humaine ou animale, conservation de ressources naturelles épuisables.…
La “moralité publique” a déjà été utilisée pour justifier des mesures interdisant par exemple la vente de produits dérivés du phoque ou de crevettes pêchées par des méthodes non protectrices des dauphins. Dans un article publié dans le Global Trade and Customs Journal, nous montrions que cette justification pourrait être invoquée pour des mesures interdisant la vente de végétaux traités avec des substances reconnues comme particulièrement dangereuses pour l’environnement, de même que la “conservation de ressources épuisables” dans l’hypothèse de risques pour la biodiversité ou le climat. Pour plus d’information sur notre analyse, voire notamment ce thread de Clémentine Baldon.
Reste à montrer que la mesure est cohérente (elle poursuit bien l’objectif affiché), proportionnée, et n’entraîne pas de discrimination arbitraire ou injustifiée au regard de l’objectif poursuivi. Ce qui n’est pas toujours évident. - En pratique, si le terme de mesure miroir est nouveau, il existe déjà de très nombreux exemples de règles exigeant des produits importés qu’ils respectent des standards de production identiques ou équivalents à ceux imposés aux producteurs nationaux. C’est notamment le cas en matière de bien-être animal (interdictions dans plusieurs états américains de la vente de foie gras issu du gavage forcé ou d’œufs de poules élevées en cage, de la vente dans l’UE de produits cosmétiques contenant des ingrédients testés sur des animaux, règles européennes sur l’abattage des animaux…).
- Bon nombre de ces normes n’ont pas été attaquées devant l’OMC et beaucoup sont considérées comme étant pleinement compatibles avec le droit de l’OMC. D’ailleurs il y a très peu de procédures formelles devant l’OMC (une vingtaine en 20 ans contre plus de 25.000 mesures notifiées à l’OMC sur le fondement de l’accord OTC “obstacles techniques au commerce”).
Bref, le droit actuel offre des marges de manœuvre pour l’adoption de mesures miroirs. L’UE sera de toute façon tôt ou tard confrontée à cette problématique pour appliquer ses nouvelles règlementations sur la déforestation importée, la taxe carbone aux frontières et bientôt le devoir de vigilance des entreprises opérant dans l’UE (qui devrait les obliger indirectement à ne plus importer de produits causant des dommages graves à l’environnement ou aux droits humains)
Enfin, n’oublions pas que les lois ne sont pas immuables. Ainsi, jusqu’à la création de l’OMC en 1995, les produits agricoles étaient en grande partie exemptés des règles du commerce international. A l’inverse, s’il apparait aujourd’hui que les règles ne servent plus l’intérêt général, peut-être serait-il temps de les revoir à la lumière des priorités actuelles ? Et ce, dans le cadre d’un vrai débat démocratique pour ne plus réserver ces sujets qui ont des impacts majeurs pour chacun d’entre nous, à une poignée d’experts super-spécialisés qui seraient bien en peine d’expliquer le sens profond de tout cela…
Article initialement publié sur le compte LinkedIn de Clémentine Baldon
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