Client Earth / Shell : vers des actions judiciaires climatiques directes contre les membres des CA des entreprises ?

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Une nouvelle action judiciaire sur le climat contre la major pétrolière Shell a été récemment annoncée par l’ONG ClientEarth.

Cette fois, ce n’est pas l’entreprise qui est visée (comme dans la décision néerlandaise qui l’a condamnée en 2021 à aligner sa politique climat sur les objectifs de l’Accord de Paris ) mais directement les membres de son conseil d’administration.

C’est une première en matière de contentieux climatique – qui pourrait ouvrir la voie à d’autres contentieux du même type en Europe et en France. Décryptage.

Une action novatrice invoquant des manquements des administrateurs à leur obligation de tenir compte de l’impact à long terme de leurs décisions, notamment sur l’environnement

Concrètement, ClientEarth envisage une action en responsabilité personnelle contre les membres du CA de Shell pour l’insuffisance de leur action en matière de changement climatique.

  • Procéduralement, ClientEarth agit ici en qualité d’actionnaire de Shell (ce qui veut dire que l’ONG détient des actions de la société). Cela lui permet d’intenter une action au nom de la société (« derivative action » en anglais).
  • Sur le fond, ClientEaeth part du constat que la stratégie de l’entreprise n’est pas alignée avec les objectifs de l’Accord de Paris.

L’ONG soutient donc que les membres du CA ne gèrent pas correctement le risque climatique et, ainsi, ne respectent pas leurs obligations au titre du droit des sociétés britannique, qui leur impose de tenir compte des conséquences à long terme de leurs décisions et de leur impact sur l’environnement. Selon ClientEarth, cette stratégie de transition attentiste est susceptible d’affecter les intérêts de long terme de Shell en termes d’impacts physiques du changement climatique, de réglementation, de contentieux et de dépréciations d’actifs.

A ce stade, la major pétrolière a été mise en demeure et l’ONG indique attendre sa réponse. ClientEarth devra obtenir la permission de la High Court of Justice avant de pouvoir formellement initier son action judiciaire.

Vers un mouvement d’engagement de la responsabilité personnelle des administrateurs pour motif climatique ?

Cette action audacieuse est très intéressante et témoigne d’un changement de philosophie quant à la responsabilité personnelle des hommes et des femmes qui composent les conseils d’administration. Possiblement plus efficace, cette nouvelle voie d’action pourrait être complémentaire à l’engagement de la responsabilité des entreprises elles-mêmes.

Une action similaire en France ne semble pas exclue, sur le fondement par exemple :

  • de l’article L. 225-251 du code de commerce qui prévoit notamment la responsabilité individuelle et collective des administrateurs envers la société et les tiers en cas d’infraction aux dispositions législatives,
  • de l’article L. 225-35 qui impose au CA de déterminer les orientations de l’activité de la société “en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux”.

A noter, le mouvement de renforcement de la responsabilité des administrateurs est également à l’œuvre au niveau européen. La proposition de directive de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises prévoit ainsi une obligation pour les administrateurs de mettre en place et de superviser la mise en œuvre du devoir de vigilance ainsi que de l’intégrer dans la stratégie d’entreprise.

Il y a donc fort à parier que l’action lancée par ClientEarth ouvre la voie à d’autres…

 

Article initialement publié par Clémentine Baldon sur son profil LinkedIn

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