L’Union européenne devrait repenser sa stratégie en matière de règlement des différends entre investisseurs et États

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Tribune de Clémentine Baldon, Renaud Beauchard et Rainer Geiger, publiée dans Le Monde du 7 novembre 2018

Le Canada et les Etats-Unis ont fait le choix de retirer le très controversé mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats [MRDIE en français, ISDS, pour Investor-State ­Dispute Settlement] du nouvel accord de commerce nord-américain entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada [United States-Mexico-Canada Agreement – USMCA]. Cette décision offre une excellente opportunité pour revisiter l’accord signé entre l’Union européenne et le Canada, le CETA, ainsi que les autres accords de commerce en cours de négociation par l’Union européenne. Après plus de vingt ans de mise en œuvre du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats dans l’accord de libre-échange nord-américain (Alena), le bilan est sévère.

Faut-il rappeler que, contrairement à toute attente, c’est le Canada qui a le plus souffert de ce dispositif avec pas moins de 41 recours en arbitrage et 200 millions de dollars d’indemnités versées, avec l’argent du contribuable, aux investisseurs privés. Ces montants ne tiennent pas compte des intérêts, des frais de défense du Canada (près de 100 millions de dollars) et des procédures en cours qui exposent le Canada à verser 500 millions de dollars d’indemnités supplémentaires, notamment à une société minière qui s’est vu refuser un projet de construction de carrière en zone sensible après une étude environnementale défavorable jugée injuste par un tribunal arbitral.

Le Canada n’a pas su tirer profit du MRDIE

De leur côté, les sociétés canadiennes n’ont pas non su tirer profit du MRDIE en échouant, en particulier, à faire condamner les Etats-Unis par les tribunaux arbitraux. Devant ce bilan négatif et la pression croissante des citoyens pour abolir cette forme de justice arbitrale susceptible de faire obstacle à des réformes sociales, environnementales ou fiscales, le Canada a, finalement, décidé de renoncer au règlement des différends entre investisseurs et Etats, dans le nouvel accord de commerce nord-américain (USMCA), après avoir un temps envisagé de le réformer.

Quant aux Etats-Unis et au Mexique, ils ont maintenu le MRDIE entre eux, tout en restreignant drastiquement son champ d’application. En effet, le mécanisme « général » du nouvel accord impose dorénavant aux investisseurs de commencer par porter leurs plaintes devant les juridictions nationales, avant de recourir à l’arbitrage.

Il supprime, en outre, la possibilité d’invoquer les notions de « traitement juste et équitable » ou d’« expropriation indirecte » pour démontrer une atteinte à leurs « attentes légitimes ». Or, ce sont précisément les deux fondements les plus utilisés par les investisseurs dans le cadre de l’Alena pour contester des réglementations étatiques.

Revirement

Seuls les investisseurs ayant conclu un contrat avec le gouvernement dans certains secteurs spécifiques (pétrole, gaz naturel, électricité, télécommunications, transport et gestion d’infrastructures) continueront à avoir accès à un mécanisme de MRDIE ancienne formule. Ce revirement initié par des Etats ayant expérimenté les effets du MRDIE pendant plus de vingt ans devrait inviter l’Union européenne à repenser sa stratégie en la matière.

En effet, l’Union européenne pousse pour inclure ces mécanismes dans tous les nouveaux accords de commerce quels que soient les Etats tiers, souvent malgré les réticences de ceux-ci, en se limitant à en réformer quelques aspects procéduraux visant à une plus grande cohérence des sentences et une transparence accrue des procédures.

Mais, pourquoi intégrer un MRDIE dans le CETA, à l’encontre des recommandations de l’étude d’impact sur le développement durable, commandée par la Commission européenne ? Et ce, précisément, au moment où le Canada le juge trop dangereux pour le maintenir vis-à-vis des Etats-Unis ?

N’est-ce pas offrir aux multinationales américaines qui se sont montrées si promptes à attaquer le Canada la possibilité d’utiliser leurs implantations au Canada pour attaquer les réglementations européennes contraires à leurs intérêts ? In fine, n’est-ce pas inutilement limiter la capacité de l’Union européenne à réglementer dans l’intérêt général ?

 

Pour lire la tribune originale sur le site du Monde : L’Union européenne devrait repenser sa stratégie en matière de règlement des différends entre investisseurs et Etats

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