Les règles de l’OMC, un obstacle insurmontable à un modèle agricole européen plus protecteur de l’environnement et du bien-être animal ? Pas nécessairement.
C’est ce que démontre le rapport publié par la Fondation pour la Nature et l’Homme, Interbev et l’Institut Veblen sur les « mesures miroirs » en matière agricole, auquel Clémentine Baldon a contribué.
Le contexte : les standards de production agricole européens sont plus élevés que ceux de nos partenaires commerciaux (pesticides, conditions d’élevage…). En conséquence, de nombreux aliments importés ne répondant pas aux normes européennes et les agriculteurs et éleveurs européens sont confrontés à des distorsions de concurrence.
Les ONG à l’origine du rapport proposent une solution simple : appliquer des mesures « miroirs », c’est-à-dire de réciprocité, fondées sur les standards européens, aux produits importés. Cela conduirait, par exemple, à mettre fin à l’importation de lentilles traitées avec des pesticides interdits dans l’Union européenne ou de bœuf dopé aux antibiotiques ou aux farines animales, comme cela est autorisé aujourd’hui. Ou encore, à interdire l’entrée sur le territoire européen de viande d’animaux n’ayant pas bénéficié de conditions minimales de bien-être animal.
Des mesures similaires sont déjà inscrites en droit français (loi EGALIM et article L.236-1A du code rural et de la pêche maritime). Mais pour les rendre effectives, ces interdictions doivent s’appliquer également aussi au niveau européen. La France milite d’ailleurs en ce sens, comme le détaillent les Propositions françaises pour la révision de la stratégie de politique commerciale de l’UE .
Contrairement aux arguments récurrents des partisans du statu quo, ces mesures ne seraient pas par principe contraires aux règles de l’organisation mondiale du commerce (OMC), qui permettent en effet des mesures protectrices cohérentes, justifiées par des objectifs légitimes et des arguments scientifiques suffisants.
Pour mémoire, l’OMC est une organisation internationale qui applique des traités, signés par les Etats, fixant des règles complexes en matière de commerce international (« Accords de l’OMC »). Pour les marchandises, l’accord fondateur est le GATT, complété par des accords spécifiques – par exemple l’accord SPS (mesures Sanitaires et PhytoSanitaires) et l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), qui seraient applicables aux mesures proposées dans le rapport.
Les Accords de l’OMC fixent des principes de base visant à assurer l’ouverture du commerce : non-discrimination des produits importés, interdiction des mesures restrictives du commerce disproportionnées, utilisation par défaut de standards internationaux comme référentiels.
Mais ils permettent aussi de justifier la mise en œuvre d’entraves au commerce international dès lors que certaines conditions sont remplies. En substance, ces conditions sont les suivantes :
- poursuivre un objectif légitime, ce qui inclut les exceptions prévues par ces Accords : par exemple, protection de la vie ou de la santé des animaux, préservation des végétaux & ressources naturelles épuisables, moralité publique (cette notion incluant le bien-être animal), …
- se fonder sur des standards internationaux pour justifier l’entrave, ou à défaut apporter des éléments scientifiques suffisants. Au cas présent, sur les pesticides ou l’élevage, il serait impossible d’invoquer les standards internationaux existants, puisqu’ils sont moins contraignants que les normes européennes. En revanche, il serait possible de se fonder sur des opinions scientifiques, y compris minoritaires. Cela a en effet été admis par l’OMC dans l’affaire des Hormones. Il serait même envisageable, sous certaines conditions, d’invoquer le principe de précaution ;
- être cohérent avec l’objectif visé, sans aller au-delà du nécessaire, ni induire de discrimination injustifiable. Or, les mesures « miroirs » n’impliqueraient aucune discrimination en droit puisque ces mesures seraient réciproques à celles déjà en vigueur dans l’UE.
Toutefois, pour vérifier la condition de cohérence, il faudrait mettre fin aux dérogations permettant d’utiliser dans l’Union européenne des substances dangereuses pour la santé ou l’environnement (comme les néonicotinoïdes) et interdire leur exportation par des fabricants de l’Union européenne vers des pays tiers.
Adopter les mesures miroirs proposées par le rapport serait donc tout à fait possible dans le cadre d’une vraie démarche volontariste, cohérente et structurée en faveur de la transition écologique, sans que le droit de l’OMC puisse justifier le statu quo puisqu’il ne s’agirait pas d’un prétexte au protectionnisme.
Cette analyse a été confirmée par un membre de la Commission européenne, selon lequel en matière de bien-être animal, ce type de mesure serait compatible avec les Accords de l’OMC.
Rendez-vous donc en 2022 sous la présidence française de l’Union européenne pour voir quelles suites seront données à ce rapport.
Pour lire le rapport en intégralité : Mondialisation : comment protéger nos agriculteurs et l’environnement ?
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